Histoire sans images (le retour à En Beys)

Une obsession. Certainement. Et alors ? Retourner à En beys était une obsession tranquille, un truc qui taraude à sec, mais doucement. Franck étant appelé à quitter la région, enfin celle de Montpellier pour rejoindre, le traître, les vallées alpines, nous décidons de trouver une date pour « retourner à En Beys », ce trip qui nous a fait tant kiffer il y a deux ans, avant les opérations et les blessures. Combinant nos différents emplois du temps nous prenons rendez-vous pour le 15 et le 16 juillet, en espérant que le temps sera de la partie cette fois. Nous embarquons avec nous Benjamin, Vincent, Nicolas et Marc. Grand beau au matin, nous partons sur une trace améliorée par Franck, au départ des Angles plutôt que de Formiguères. L’approche se fait tranquillement après une première montée qui pique comme il faut. Il a plu, le soleil est haut mais le sol des premiers sentiers est bien détrempé, glissant et casse-gueule par endroits, un retour de pédale fait ses premiers dégâts. Mais qu’importe, il faut ensuite attaquer l’ascension de la Serra de Maury, le premier gros morceau de la journée.

Une croupe magnifique

Ça a beau être de la piste, ça fait fichetrement mal, surtout en haut ou j’arrive décomposé, ayant même réfléchi à faire demi-tour pour rentrer sagement avant d’attaquer la suite vers le Pic du Mortiers. Bref, on mange un morceau, on se régale des Pérics en fond d’écran à notre pique-nique puis on avance, une courte descente puis la remontée vers le Pic. La neige nous oblige à un détour, on porte, on pousse, ça roule ça ne roule pas, c’est du vélo de montagne ou s’ébattent huit vélos électriques. #bref. Sous le sommet nous doublons deux femmes d’âge certain qui nous disent venir là tous les ans, depuis quarante ans. La plus âgée des deux a quatre-vingts ans et le vertige. Ça me fait ravaler mes états d’âme de tout à l’heure. Là-haut, c’est toujours aussi beau et immense. Nous mangeons un morceau à l’abri du vent et nous filons, direction le Terrers par cette croupe magnifique à 2 500 m. Je prends un peu d’avance histoire de jeter un œil à l’entame de la descente vers l’œil du Diable où notre ami Didier s’est offert une cabriole une quinzaine auparavant. Puis nous attaquons la descente vers le fond de la vallée d’Orlu. Une tuerie. C’est un truc à faire une fois dans sa vie que cette descente de vélo de montagne (attention, ce n’est pas de la station !). La première partie file à flanc dans la caillasse qui bouge, on est grisé par le paysage.

Le chas de l’aiguille

Le sommet du Mortiers. Un must.

Les épingles qui suivent nous ramènent illico à la raison et je finis dans l’herbe pour avoir tenté une « French line » un peu audacieuse. Il est plus sage de passer là à pinces se dit le homard qui sommeille en moi. Puis c’est du sentier de montagne, une douzaine, quinzaine de centimètres de large, le gaz comme il faut sur la droite qui te promet 200 mètres de roulade au cas où, tu fais attention. Forcément. D’autant que l’herbe fine et verte semble attirer les crampons du pneu avant pour t’envoyer valser et prendre sa revanche sur les piétons qui l’écrasent ! Un peu avant la Jasse, une importante prise d’eau, à mi-pente dans une partie pas bien roulante, Benjamin est victime d’un souci mécanique avec sa boîte de vitesses. Mais il répare et nous filons de nouveau pour entrer dans la machine à coudre. Là, le sentier n’est guère plus large qu’au dessus, il traverse des pierriers en plus et les épingles sont serrées comme des plis hercyniens, du moins de l’image que je me fais de cette vieille notion de géographie du collège. Mais c’est bon. Il y a toujours de la pente, depuis le col de Terrers c’est un moins 1 000 mètres à quelques feuilles de hêtre près et le sentier nous régale dans la forêt jusqu’à faire puer mes disques au débouché dans l’herbe. L’herbe, pour souffler et rejoindre le pied de la forêt, le pied de la dernière difficulté de la journée. Le portage d’En Beys. J’en ai bouffé quelques-uns dans ma courte carrière, mais celui-là vaut son pesant de cacahuètes. C’est long. C’est dur. C’est long. C’est dur. C’est dur, c’est long. Et là en arrivant au sommet, je sais que Franck m’a mis une taule, il a déjà bu trois bières depuis son arrivée !

   Canard à l’orange

J’ai gravi ce sentier en compagnie de Nicolas et nous arrivons de conserve sur la terrasse tant espérée où nous sommes accueillis par un des deux tenanciers du lieu, Julien. La bière qu’il brasse pendant l’hiver s’appelle la Bien Méritée, et je peux vous jurer que celle-là, elle n’est jamais malvenue ! Un plouf régénérant dans le lac au-dessus du refuge et nous nous retrouvons à table pour déguster un excellent canard à l’orange. Ah oui, ce soir-là, la France est devenue championne du monde de foot. Mais là, franchement, on n’en avait rien à battre. C’est peut-être pour cela que nous avons été châtiés le lendemain. Allez savoir. Au lever, après avoir ronflé en cœur avec Marc, nous attaquons le petit-déjeuner. Dehors, deux jeunes isards se sont donné rendez-vous au point de sel que les gardiens du refuge ont installé à quelques dizaines de mètres de la salle commune. Les nuages roulent leur ambition malsaine entre les falaises, quelques gouttes éclatent ici ou là dans l’herbe ou sur les pierres. C’est l’heure. Nous bouclons nos sacs, réglons notre note et filons l’air un peu bravache en se disant que « ça va passer. » Le menu est copieux devant nous, et nous savions que la météo serait mauvaise. La première fois déjà, nous avions effectué la longue montée d’En Beys jusqu’à la Porteilla Gran sous la flotte. Ça ne changera donc pas. Nous arrivons à la Jasse en une heure, environ, il pleut comme il faut. Pas la peine de reprendre de l’eau comme la veille, nous en sommes dégoulinants. C’est là que le dur commence. 500 mètres de dénivelé à prendre au milieu de rien, de la caillasse, des névés, de l’herbe rase, des isards neurasthéniques et des marmottes insolentes. Ah oui j’oubliai. Les nuages. Qui montent de la vallée, comme la mer, à la vitesse d’un cheval au galop. C’est flippant. Nous ne trainons pas et entamons l’ascension vélo sur le dos. Pas le choix. Et là. Le tonnerre. Loin. Certes. Mais le tonnerre. Il n’est pas neuf heures. La météo avait prévu de l’orage, mais en fin de matinée. Donc le tonnerre qui fait poindre des nuages de points d’interrogation dans les esprits. La valse-hésitation se transforme en mouvement. Nous décidons collectivement de continuer à escalader. Si ça se trouve, de l’autre côté, la tramontane fait son job, comme il y a deux ans. Et nous allons débouler trempés mais heureux le long des lacs bleus.

Et alors, le vent.

La pente est raide et le chemin même pas droit. Nous gagnons une centaine de mètres, nous sommes maintenant ceints par les nuages, la pluie elle aussi fait son job, tombe drue, on glisse sur les cailloux. Encore une cinquantaine de mètres de gagnés. Après, juste après, il y a un genre de replat, un haut plateau, un cirque, durant la traversée duquel la pente devient supportable, on pourra souffler un peu mais il ne faut pas traîner. Je ne ferme pas la marche, je la partage avec Nicolas qui souffre de porter le vélo, suite d’un accident récent, il ne dit rien. Pas comme l’orage. Il tonne une nouvelle fois. On n’y voit plus à 100 mètres. Notre petite colonne est étirée sur une centaine de mètres elle aussi. Nous continuons de monter, j’aperçois Franck et Marc qui se sont arrêtés. Les points d’interrogation se bousculent de nouveau. La pluie est diluvienne. Il fait froid. Et ce tonnerre, si près. Nos regards se croisent. La question fuse. « Qu’est-ce qu’on fait ? » La décision tombe, elle était prise depuis un moment. On fait demi-tour, on va se réfugier dans la vallée. Ça tonne encore, le vent s’est levé en bourrasques, de celles qui accompagnent typiquement l’orage, quelques minutes avant, qui fiche la chair de poule. Il nous restait au bas mot 300 mètres de dénivelé à prendre, entre une heure et une heure et demie dans un milieu complètement ouvert où nous aurions été six paratonnerres parfait, une heure et demie pour juste basculer de l’autre côté où, possiblement la situation pouvait être pire. Alors nous avons dévalé. À pied. Le chemin ruisselant, inroulable, jusqu’à la Jasse un peu au-dessus de 2000 m. Puis nous avons repris la machine à coudre de la veille.

Merci Madame !

La lose à Ax !

Déjà ce n’est pas facile quand c’est sec, alors quand c’est mouillé, ça devient périlleux. Certains mettent des pneus neige pour l’hiver, moi j’avais mis un peu été à l’arrière. C’était patinage et figure libre dans les épingles transformées en ruisseau. Marc en a profité pour nous faire une blague dont il a le secret, perdre une pédale au début de la descente, heureusement, elle n’a pas basculé dans le ravin. Puis nous sommes arrivés un peu penauds sur la piste. Envolé notre rêve du jour, nous étions confrontés, et allions être confrontés encore un long moment au principe de réalité. À savoir rouler contre une pluie battante, les muscles gagnés peu à peu par le froid. Nous avons rejoint les Forges d’Orlu et trouvé refuge à l’accueil du parc des loups. Merci Madame, de nous avoir permis de souffler, de nous avoir prêté des torchons et des serviettes pour tenter de nous sécher un peu, merci de nous avoir permis de nous asseoir, crottés que nous étions, pour prendre un café chaud. Merci de nous avoir permis de prévenir le refuge que nous avions rebroussé chemin. Puis nous sommes repartis. Par la route cette fois. Direction Ax-les-Thermes. Pour essayer de prendre un train et remonter en Cerdagne. Oui, nos voitures étaient aux Angles. Le reste n’est que littérature. À la gare d’Ax, nous avons demandé à 11 h 59 à quelle heure était le train suivant pour Latour. Coup de bol, moins d’une heure après. Nous avons vite déchanté quand le préposé au guichet m’a interpellé méchamment en me demandant « bon, vous prenez des billets ou quoi ? Je ferme à midi. » La France était championne du monde mais cela n’avait rien changé.

Qui vient ?

Bref. 50 minutes d’attentes dans la salle dédiée à ce sport. Nous avons mangé le casse-croûte du refuge. Franck s’est lavé les quilles dans les flaques du parking. Nous avons tant bien que mal tenté de se sécher et d’enfiler des fringues moins mouillées. Puis avons cherché une bonne âme, l’avons trouvé, merci Vincent Thomas ! Qui est venu chercher les conducteurs depuis Font-Romeu pour les ramener aux Angles. On ne gagne pas à tous les coups. Il faudra retourner. Qui vient ?

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